mercredi 1 octobre 2008

T1, TR-MC, IEN, RASED, AP et SA [edit : corrigé 03/10/08 22h22]

Comme demandé par Septie, je vais donc vous compter ma nouvelle vie de T1.
Déjà, un T1, c'est une personne qui a obtenu le concours de recrutement des professeurs des écoles (ou CRPE), qui a été en 2e année d'IUFM (PE2, on dit, PE pour Professeur des écoles, et 2 pour 2e année , vous suivez ?) et qui a été titularisé.
J'ai fait tout ça, si, si, et je suis donc Titulaire, 1ère année, donc T1.

L'an prochain, je serai donc… On lève la main pour répondre… Oui, toi là bas, près du radiateur au fond, oui ? T2 ? C'est ça, c'est compris !

Alors, pour mon année de T1, je suis TR MC. Titulaire Remplaçant (sic) Maladie et Congés. On dit aussi, mais je sais pas pourquoi, Brigade MC. J'appartiens à la Brigade de remplacement du département (un peu militaire tout ça…) et mon rôle est donc "d'assurer la continuité du service public" en remplaçant ces enseignant(e)s qui ont eu la mauvaise idée de tomber malade et/ou enceintes.
J'appartiens à une circonscription de l'Éducation Nationale, dirigée par une Inspectrice de l'Éducation Nationale (les plus malins auront deviné qu'il s'agit là d'une IEN), qui est ma supérieure hiérarchique directe. Affecté à une école (dite "de rattachement"), c'est là que je suis lorsque je n'ai pas de remplacements à effectuer. Mon aire d'action est vaste puisqu'il s'agit, en théorie, de tout le département. Dans les faits, je perçois des indemnités de déplacement dont le montant varie en fonction de l'éloignement de mon école de rattachement : il est donc fort peu probable que je sois dépêché loin. Mais ça arrive. Cette semaine par exemple, j'assure le remplacement d'un CP à près de 25 km…
Voilà pour la théorie… En pratique, j'ai déjà vu, en un mois, 5 classes différentes : une CLIS (Classe d'Intégration Scolaire, pour les élèves "à besoins éducatifs particuliers", autrement dit, à troubles du comportement ou handicap), un CM2, un CE2, une petite section de maternelle et un CP. Je ne sais pas où je serais la semaine prochaine. Je trouve cette situation rigolote, en fait. Chaque nouvelle journée est un challenge : quel niveau ? Quels élèves ?

Mais cette rentrée est marquée par beaucoup de nouveautés pour les enseignants, les élèves et leurs parents. Nouveaux programmes, nouvelle organisation du travail.
Disons que les nouveaux programmes, qui comme toujours sont un "retour aux fondamentaux" (comme si l'école avait oublié ces dernières 25 années d'apprendre à lire, écrire et compter… J'en ai déjà parlé par ici), proposent l'exploit de faire plus (car ils sont plus lourds que les précédents) en 2 heures de moins par semaine.
Bon, 2 heures de moins par semaine, c'est pas grand chose, vous me direz… Faisons un peu de maths :
Les élèves ont maintenant 24 heures de cours par semaine. Il y a 33 semaines scolaires (de mémoire, j'ai pas vérifié), soit 792 heures par an. Ils en avaient auparavant 858. Sur les 8 ans que dure la scolarité primaire, les élèves ont maintenant 6 336 heures de scolarité, au lieu des 6 864 précédentes. La différence est de 528 heures sur toute la scolarité, soit à peu près 2/3 d'une année scolaire en moins. Et bien avec presqu'une année perdue, nous devons faire plus qu'avant…
Certes, la qualité de l'enseignement compte plus que sa quantité. En réalité, on touche là à une question de rythmes scolaires… L'enseignement en France est resserré sur 4 journées de 6 heures par semaine. Personnellement, je trouve que c'est beaucoup pour des enfants de 6 ans que de passer 6 heures minimum à l'école par semaine.
A priori, je ne suis pas contre la diminution des horaires de présence à l'école des enfants, mais je trouve leur resserrement sur 4 journées inadéquat. La plupart des autres pays européens ou nords américains ont un rythme scolaire étalé sur 5 jours, avec pour certains moins d'heures que nous : ils ont simplement des journées plus légères.
Ainsi, au lieu d'enlever une demie journée d'école (le samedi), je pense qu'on aurait dû en ajouter une (au hasard le mercredi), mais réduire le nombre d'heures quotidiennes…

Et là dessus vient se greffer les obligations de service des enseignants.
Pour faire court, notre temps de travail est divisé en temps de présence face aux élèves et en temps de réunions/concertations/rencontre avec les parents/formation continue (les temps de préparation de cours ne sont pas comptées comme étant du temps de travail, notez bien). En temps de présence face aux élèves, c'est 26 heures/semaine… Mais les élèves n'ont que 24 heures à l'école. Notre ministre, Dark Xav, a alors sorti une arme secrète : l'aide personnalisée. Les 2 heures restantes, nous les ferons afin d'aider les élèves les plus en difficulté.
Sur le principe, pourquoi pas… Il se peut même que le travail lors de ces heures soit très intéressant et puisse effectivement aider certains élèves, mais des problèmes demeurent.
Le premier, celui qui saute aux yeux, c'est encore une question de rythme : est-ce vraiment judicieux de "retenir" en cours pendant une heure un élève qui a des problèmes scolaires et qui en a peut être sa claque d'être à l'école… Est-ce que lui "offrir" une heure supplémentaire ne va pas lui faire encore plus détester l'école ? Sas parler de la stigmatisation des autres élèves. Il devient bien connu, dans les cours d'école, que les heures en plus, "c'est pour les nuls", renforçant ainsi une mauvaise image de soi et abandonnant l'élève en difficulté dans ce rôle d'élève en difficulté.
Mais passons là dessus, et parlons d'une conséquence insidieuse et, à mon sens, très dangereuse.
Dans les écoles, il existe, en nombres notoirement insuffisants, des enseignants spécialisés qui sont chargés tout particulièrement de prendre en petits groupes, pendant le temps scolaire, les élèves les plus en difficultés. On les appelle "membres du réseau" car ils constituent le Réseau d'Aides Spécialisées aux Élèves en Difficultés, ou RASED.
Ces enseignants n'ont qu'un rendement assez faible : ils travaillent avec peu d'élèves, prodiguant une aide ciblée. Ils ont reçu une formation supplémentaire de 2 ans (en formation continue et en alternance) et sont spécialistes de la difficulté scolaire. Honnêtement, ils font un travail qui est essentiel car nous, les enseignants "classiques", ne sont pas toujours formés et armés pour faire face à de grandes difficultés scolaires. Nous manquons de temps, d'éléments et de compétences pour aider les cas les plus lourds de nos classes.
L'aide personnalisée qui sera prodiguée par les enseignants "normaux" est une formidable opportunité pour le ministère d'économiser sur ces enseignants : dès l'an prochain, des maîtres spécialisés vont devoir abandonner leur spécialité et enseigner dans des classes classiques… Les RASED sont voués à disparaître au profit de cette aide. Ce qui est choquant, c'est que ce n'est absolument pas la même chose et que nous sommes en train de créer une école (ou alors de la continuer ?) qui ne sera utile qu'aux élèves qui réussissent : les moyens pour venir en aide aux plus démunis disparaissent petit à petit (les emplois-jeune ont fait leur temps il y a déjà longtemps, les EVS ou AVS ne sont plus toujours remplacés…) et une école à deux vitesses apparait, une école du "marche ou crève" (ce que les nouveaux programmes semblent aussi entériner)
Cette perspective est plutôt triste et nos pouvoirs de résistance sont faibles…
D'autant plus faibles qu'en même temps, notre droit de grève est singulièrement attaqué : les directives mettant en place le "Service d'accueil" pour tous les enfants en cas de grève nous obligent à déclarer à notre Inspection que nous sommes grévistes par courrier privé au moins 48 heures à l'avance. Cette mesure, contraignante, empêche surtout les grèves reconductibles et donc les combats de longue durée. Ce qui est affligeant, c'est le procès dont les enseignants sont victimes : le Président de la République, en se plaçant du côté des parents "pris en otages" par les grèves de enseignants, cherche à nous faire passer pour des irresponsables notoires et, in fine, des paresseux de grévistes. Il cherche aussi, de manière délibérée, à monter les parents contre les enseignants. C'est un joli retournement de situation, en réalité, car je suis certain que la majorité des enseignants décident de perdre une journée de salaire (pour un enseignant débutant comme moi, c'est à peu près 65 €) ou plus en faisant grève, c'est justement pour défendre le droit à une meilleure éducation. Si les enseignants demandent que les programmes soient changés, que plus de postes soient créés, que plus de personnel soit embauché, en un mot plus de moyens, c'est bien pour améliorer le service public d'éducation, pour, tout simplement, se donner les moyens de faire mieux progresser les enfants qui nous sont confiés, de remplir les missions qui nous sont assignées… et certainement pas de prendre une journée de congé.

Je sais que ça ne veut pas dire grand chose, mais j'ai beaucoup entendu d'enseignants me souhaiter bon courage, car je débutais, selon eux, dans un métier qui est bien plus difficile qu'à leur entrée ; d'autres sont contents d'être bientôt à la retraite, car ils n'aiment pas la tournure que prend leur métier… Ça grogne aussi dans les réunions, on se retrouve à appliquer des mesures auxquelles on ne croit pas, mais nous sommes aux ordres du ministre, après tout, et nous n'avons pas notre mot à dire là dessus…

Voilà un peu notre situation…

Pour finir , sachez que j'apprécie ce que je fais, quand même, mais que, moi aussi, je crains pour l'avenir de l'école en France et la réussite de sa mission (qui est la réussite de tous les élèves, objectif inatteignable, peut être, mais c'est un but vers lequel nous nous devons de tendre).

Sur ce, il est temps d'aller me coucher, car demain, je travaille loin, souvenez-vous !
Je m'excuse de la longueur de ce message et de son côté peut être décousu par moments…
En passant, la fonction de correction automatique de Firefox m'a lâché, j'ai dû laisser passer quelques fautes de frappe : mes excuses pour ça aussi !

[Edit : un peu de correction 48 heures plus tard… moins de fouilli et j'ai ajouté tout un passage sur la grève.]

3 commentaires:

Septentria a dit…

Merci pour toutes ces infos ! Je viens d'écrire à la mairie concernant le service minimum d'accueil, je suis furax ! Bon courage, je ne savais pas que des PE pouvaient intervenir sur une zone aussi large que le département !

rampa a dit…

Merci de tes encouragements, septie…
Je te tiens au courant des développements futurs.
EN passant, info de dernière minute, je vais garder encore 2 semaines le CP…
J'aime bien le CP, c'est chouette !

Mimi Tape Dur a dit…

Joli lapsus, mon doudou, au 4e paragraphe tu dis :
«je trouve que c'est beaucoup pour des enfants de 6 ans de passer 6 heures à l'école par semaine».
Comme on dit, le lecteur aura rectifié de lui-même, en remplaçant semaine par jour, mais tu me connais, je ne pouvais pas laisser passer ça.
Sinon, article très intéressant.
Et la moralité de l'hitoire est : «on n'est pas sorti du bois, tabarnak !