vendredi 8 juin 2007

Le point au premier virage…


Je me souviens d'avoir annoncé il y a quelques temps sur ce blog que je ne parlerais pas du boulot… Mais là, ben si !
Pour celles et ceux qui n'auraient pas suivi : je suis professeur des écoles et travaille dans l'enseignement spécialisé, cette nébuleuse qui recouvre un bon milliard (si si ! ;-) ) de situations différentes.
Mon premier "vrai" remplacement (car je suis remplaçant, ce qui, dans l'Éducation Nationale est un vrai poste…) fut dans un IME (pour Institut Médico-éducatif), à 15 minutes à pied de chez moi, auprès d'enfants porteurs de handicap mental moyen à sévère. Pour résumer pas mal de trisomiques, quelques autistes et d'autres syndromes que je ne détaillerai pas (pour la plupart, j'en suis bien incapable et de toute manière, ce n'est pas très important).
Pour une première expérience, ce fut très enrichissant : l'IME semble fonctionner très bien, avec une belle brochette d'éducateurs spécialisés qui tentent d'apporter un vrai quelque chose à ces enfants qui n'ont pas été vernis. La relation entre la plupart des enfants et leurs éducateurs est à ce niveau là très évocatrice : un vrai climat de confiance mutuel règne.
Du point de vue pédagogique (mon rayon, en quelque sorte), c'est une véritable catastrophe en règle générale (je parle du niveau des élèves) mais l'ensemble des élèves reste très agréable et surtout très enrichissant à cotoyer. J'en garde, à jamais, un grand souvenir. Oh ! ce ne fut pas rose tous les jours (j'ai glané quelques morsures, griffures et autres pincements sur les bras ou les mains, quelques pieds écrasés, aussi), mais l'expérience fut indéniablement positive. Ce ne fut pas sans un (très) sérieux pincement au cœur que, par suite du retour du prof que je remplaçais, je dus quitter l'IME vendredi dernier.
Nouveau remplcement à partir de lundi… Changement de lieu : je me retrouve à 1h15 de route de chez moi. Déjà, ça commence mal. Changement de structure aussi : nous nous retrouvons dans un ITEP (pour Institut thérapeutique, éducatif et pédagogique). Normalement, ça ne parle à personne. Il faut dire que l'acronyme est neuf, il n'a pas 2 ans. On a préféré remplacer l'ancien, trop évocateur, peut être : les ITEP ont succédé aux IR ou Instituts de Redressement…
Le public accueilli vient directement des écoles (pas forcément le cas dans les IME) dans lesquelles les élèves ne pouvaient trouver leur place en raison de troubles du comportement graves (entendre : ils bossaient pas et foutaient un bordel pas croyable). Cet ITEP accueille donc des enfants de 8 à 12 ans, inadaptés au système. Normalement, la décision d'orienter un élève dans ce type de structure a pour objectif d'apporter à l'enfant un plus éducatif majeur, doublé de temps pédagogiques afin de combler les retards et de donner à chacun les mêmes bases. J'insiste sur la primauté du temps éducatif à mon sens : les élèves n'ont pas un comportement adapté à la vie d'une classe souvent parce qu'ils n'ont pas non plus un comportement adapté à la vie en société. De mon point de vue, si amélioration il doit y avoir, c'est bien par le travail de l'éducateur et non celui du pédagogue qu'elle doit advenir.
Or là, surprise totale : le temps de classe est plus important qu'en école primaire, les éducateurs ne sont là que pour le lever, les repas et le coucher (nous sommes dans un internat…). Les instituteurs se tapent donc tout le sale boulot et on se retrouve à faire de l'éducatif, justemment.
L'ambiance dans le centre est délétère, les jeunes, pour moitié, viennent de la cité et ont importé le modèle dans le centre : ils font la loi et donnent un bel exemple de toute puissance. Face à eux, des éducateurs dépassés et souvent absents, un directeur de centre qui n'assume pas son rôle de "super censeur", celui de l'autorité suprême à qui on appelle pour voler à notre secours (rôle dont je ne voudrais pour rien au monde…) et trouve toujours une excuse pour ne pas être là. Bilan des courses, personne d'autre que les instits et un éducateur "référent" dans le centre le matin et l'après midi, personne pour nous venir en aide lorsqu'on ne contrôle plus rien. Je suis un peu décontenancé, presque furieux, de cette situation : j'ai l'impression d'être en première ligne sans personne derrière pour nous soutenir et d'être là, en quelque sorte, pour limiter la casse et prendre des coups !
Et la casse, il y en a ! Rien qu'hier, pour avoir osé intervenir alors qu'un enfant (A.) tapait puis envoyait des pierres à un autre (M.), A. s'en est d'abord pris encore plus à M., le rendant responsable de sa punition (oui, moi, j'ai du mettre des punitions ! Je déteste ça…) avant de retourner son courroux contre moi, tout comme ses cailloux, d'ailleurs. Bon, votre serviteur n'a rien eu, je vous rassure tout de suite. Je me suis fait copieusement insulter, bien entendu. A. est ensuite allé chercher des renforts et avec ses potes, ils ont rejoué les émeutes en banlieue, mais dans le centre. On pensait que la nuit les auraient calmés, que nenni, les voilà repartis ce matin à fuguer : la moitié des 23 élèves du centre dans la forêt. Intervention des gendarmes, tout le toutim…
Pour moi, cette fugue est emblématique de l'ambiance du centre : les enfants ne sont pas encadrés, les adultes du centre sont perçus comme des ennemis (faut dire qu'ils le cherchent : si je pouvais, j'applatirais volontiers le psy contre un mur. Encore une différence avec l'IME dans lequel je trouvais les psys biens), nous (les instits) avec… Ce sont des enfants qui n'ont confiance en rien, pas même en leur potes, ils sont d'ailleurs incapables d'avoir des amis, je pense. C'est triste et d'autant plus que je ne sais pas, je ne pense pas même, que quelque bien leur soit apporté là.
Et pour cause : ces enfants ne sont pas éduqués mais dressés. Et le dressage humain n'a toujours apporté ue révolte légitime… *soupir* C'est dur d'aller au boulot parce qu'on ne sait pas ce que la journée nous réserve, c'est surtout dur de se dire qu'on ne peut pas faire grand chose et qu'on ne sert à rien… voire même qu'on est complices. Je ne suis là que pour 4 semaines et demi, une de passée, en reste 3…
J'essaie, néanmoins, de leur montrer que je veux avoir confiance en eux (ce qui m'a valu, entre deux insultes, d'être catégorisé dans les "gentils maîtres"), d'aller vers eux quand ils sont en crise, au risque, bien réél, de me prendre un caillou ou autre chose : je ne veux pas, je ne peux pas laisser tomber.
Mais il est sûr que la motivation n'y est pas, l'envie non plus… Bref, pour la première fois depuis ma récente entrée dans l'Éducation nationale, je "vais au boulot", je fais mes heures et voilà, sans envie, sans goût, par obligation pure *soupirs*

Sur le sujet, je ne saurais que conseiller la lecture de la BD Le Journal d'un remplaçant de Martin Vidberg dont la couverture est l'indispensable illlustration de cette note (cliquez ici pour le commander directement chez amazon… Je ne fais pas de la pub gratuite, je suis fan ! Cliquez aussi sur l'image pour avoir les premières planches dispo sur le net…!)

À bientôt pour de nouvelles aventures !

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Et bien Julien, je n'aimerais pas être ta place. Ton institut c'est ma ZEP puissance 10 !!! On créé des ghetto et on y envoie des jeunes au casse-pipe sans aucun moyen ! Typiquement éducation nationale !!!!
Courage, c'est bientot les vacances !

Anonyme a dit…

Sans aucun rapport, comme je vois que tu suis des sites de bd, je te conseille celui-ci, il est très bon :
http://blogdeherve.blogspot.com/
On suit les tranches de vie d'un prof de dessin, qui a notre âge. J'aime beaucoup le graphisme !

Anonyme a dit…

Je comprends vraiment ton écœurement face à cette démission générale. Notre métier voit le pire comme le meilleur mais, dans ta voie, c'est évidemment plus flagrant que partout ailleurs. Tu rencontres des publics avec lesquels tu ne peux te contenter de venir et de repartir; tu es obligé de t'impliquer, de prendre parti, de risquer l'affrontement, au mieux verbal, au pire physique… C'est très dur de conserver un esprit critique et de ne pas s'user dans ces conditions. J'admire ton attitude et je trouve que le blog est un bon moyen à la fois d'exorciser ce dégoût et cette violence et de préserver ta liberté de pensée. Bref, pas d'autocensure concernant le boulot sur ton blog. Au contraire, tu assures aussi une mission salutaire en nous informant sur de telles réalités. Heureusement que tu ne restes pas longtemps sur ce remplacement, mais j'ai bien peur qu'au long de ta carrière tu rencontres davantage d'établissements comme celui-ci que comme le premier. Au moins ce dernier nous laisse-t-il quelque espoir sur le professionnalisme et l'humanité de nos éducateurs… Puisse-t-il ne pas t'apparaître comme un Age d'or!